Le Meilleur Echec

Les traits du visage de l'elfe sont parfaits. Le nez délicatement ciselé se terminant en une petite pointe relevée. Les extrémités des oreilles, en échos, elles aussi se dressant en l'air, jaillissent de l'épaisse chevelure teinte en un bleu presque noir. Quelques mèches plus claires, presque violette, sillonnent la masse de chevelure. Les pointes des mèches viennent mourir sur le front blanc. Ils sont accueillis là par les délicats arcs des sourcils à peine visible. En dessous, les immenses yeux bleus regardent loin au delà de tout ce qui existe. Deux traits de khôl noir amplifie leur puissance aveugle.

L'aube commence à peine mais déjà l'humidité de la terre se condense en de minuscules gouttes de rosée sur les joues. La mâchoire d'albâtre se découpe sur le fond sombre du haut col de son ample manteau. Les lèvres sont maquillées, de légers reflets bleus passent à leur surface. Mon regard est attiré par un reflet d'or dans sa chevelure bleu nuit. Des boucles d'oreilles finement forgées, probablement originaires de Sanctum, chacune accueillant les trois perles grises. L'elfe cligne des yeux. Elle est a demi allongée entre deux rochers, chacun de ses bras prenant délicatement appuis sur chaque.

Entièrement enveloppée dans son grand manteau sombre, elle ne semble pas sentir le froid qui règne pourtant dans ces montagnes. Au niveau du léger renflement de ses seins, une suite de symbole elfique illisible marque son appartenance à son escouade, son bataillon, et enfin, en fil d'or, à sa maison source et au nom de la branche royale dont est issue sa famille. Ses mains sont prises dans de long gant gris, aux coutures ouvragées, reprenant des motifs des fleurs hivernales des forêts du Nord. Elles est chaussée de bottes noires.

Le bord est marqué par l'usure de la marche. La rocaille des monts de granite a entamé le cuir renforcé, trace de la marche forcée qu'elle a subie ces derniers jours. Sa poitrine se soulève cependant a peine, elle est d'un calme glacial, alors que la course m'a enflammé les poumons. Je sens mon sang frapper l'intérieur de mes dents, me donnant envie de les gratter. L'air glacial met mes poumons à vif, alors que l'elfe semble s'amuser de moi.



Autour de nous, en un cercle discret de spectateur, les corps de nos compagnons de galère se mêlent. Entre livrée noire des troupes d'infiltration des elfes, et livrées grises de l'armée régulière renégate, la lumière de l'aube et l'air saturé d'humidité les rendent indifférenciables. Seul subsiste l'ombre diffusée des corps. Les roches qui jonchent le sol leur servent de pierre tombale provisoire.

Quelques membres remuant suggèrent le miracle de quelques survivants, mais il s'agit probablement des derniers soubresauts des corps aux centres nerveux réduits en bouillie par la magie elfique. Le seul bruit est celui de ma respiration. Pas un gémissement d'agonie. Pas une supplique de l'elfe ni de souffle. L'air semble glisser en elle, seuls les reflets de lumière changeants sur son manteau montrent que son corps est vivant.



J'impose a mon corps de reprendre son souffle, limitant le tremblement de mes mains alors que la terre soulevée par le récent combat n'a pas encore finie de retomber. Les pierres alentours sont marquées par les impacts de balles et les zones brûlées par les sorts. Quelques lames fichées dans le sol accrochent les reflets de lumière. Ma main a cessé de trembler. Mon regard cours sur le corps parfaitement ciselé de l'Haut-Elfe. Les reflets d'acier froid du canon de mon pistolet contrastent avec les reflets tendres des lèvres de l'elfe dans lequel il est fiché depuis toute a l'heure. L'extrémité du canon, portant la griffe de visée, cogne contre les dents fermée.

Alors que la brume commence a se lever, je sens plus que je vois son bras droit se lancer vers moi. Ma main agripe la détente de mon pistolet. Le chien se lance en avant, frappe la pierre a feu, l'étincelle jaillit suivit de la détonation immédiate de la poudre. Le canon, enfoncé dans la bouche de l'elfe, tremble violemment, la balle fuse, brise la mince paroi des dents, rentre dans la bouche, le gaz de compression à base de souffre s'engouffre dans le passage emplit la bouche, l’incinérant la gorge de l'intérieur. La balle suit son cour, rentre par le fond de la gorge, emportant la glotte au passage, elle manque de quelques millimètres une vertèbre cervicale, finit de traverser le cou de part en part et se fiche dans la terre, sous la chevelure de l'elfe.

Le bras lancé vers moi vacille sous l'impact de la balle, le sort se libère un instant trop tôt, la langue de feu qui jaillit de la main, amplifiée par les arcanes du gant, manque ma figure, n'arrive qu'a m'arracher mon oreille. Je hurle sous la douleur, alors que le corps de l'elfe se tord sous l'étreinte de l'agonie, je bascule mon autre bras en avant, arme le coup, vise le front immaculé, et presse la détente. Cette fois, le crâne explose sous l'impact, une fontaine de sang se superpose à la fontaine de cheveu bleu. Je lâche mes armes tandis que le feu commence a s'ancrer sur mon crâne, je tremble en déversant ce qui reste de ma gourde.

Les flammes étouffées quittent enfin mon cuir chevelu fumant. Je me retourne vers l'elfe, dégainant ma baïonnette, mais il n'y a plus rien a tuer. L'aube a finit de se lever alors que la brume s'est dissipée, il ne reste que des cadavres de l'affrontement. En contrebas , à plusieurs kilomètres, je vois d'autres patrouilles de l'armée régulière monter vers nous. En hauteur, le pic de granite surplombe toute la zone. De l'autre coté, les terres elfiques du Nord, l'objectif de notre armée. Nous savions tous que ces montagnes étaient piégés.

Je regarde autour de moi. Les elfes nous avaient attirés à l'intérieur de la montagne pour nous couper de tout appuis, seul notre sergent avait compris que le replis derrière cette crête était notre salut. Mais plutôt que de laisser le temps a nos renforts de nous rejoindre, les fanatiques Elfes nous avaient attaqués pendant la nuit. Alors que nous étions deux fois plus nombreux, leur petit groupe d'assaillant nous avait réduit en charpie, nous harcelant toute la nuit. Beaucoup avait craqué, se ruant dans la nuit tirant à tout va, pour finir déchiqueter dans les ténèbres dans les lames Elfes.

J'arrache une racine qui dépasse d'un rocher, je la mâche lentement en m'asseyant pour contempler la vallée dans la lumière, à coté du cadavre de l'elfe. Je lui propose un bout de racine, mais elle me snobe en silence. Haussant les épaules, je recommence à machonner, me demandant ce que sera la tambouille ce soir ; essayant de ne pas regarder les visages de mes compagnons d'escouades au regard voilé.

Peut être suis je fou, au moins je suis en vie. La sève de racine commence a faire effet, amollissant mes réactions, endormant la douleur de mon crâne brûlé. La guerre est bonne à vivre, tant qu'on y pense pas.